évadés des écrans
les artistes qui explorent les quatre dimensions sont rares
ci-dessus Elias Crespin
Je ne sais si je peux le dire : j’ai le cerveau fait de telle façon que je pense presque tout en volume. Dans ma tête les semaines et les mois sont comme un paysage. Pareil pour le calendrier et les chiffres en général. Pire : j’ai eu ma meilleure note de la classe au Bac Philo, matière où je rêvais les idées en trois dimensions.
Deux dimensions, trois dimensions… Le monde où nous vivons nous apparaît en quatre dimensions ; et notre époque, comme les précédentes, tente sinon de le comprendre du moins d’en approcher le sens.
C’est ce que, selon moi, tentent les artistes de cette petite liste
Rémi Brun
Zarkava - Galerie O. Waltman Paris
Rémi Brun sculpte le mouvement par la seule lumière.
Du jeu vidéo, il a retenu la “Motion Capture” qui permet de saisir les mouvements des acteurs pour ensuite faire vivre les personnages de dessin animé. Brun crée un volume abstrait de points en mouvement. Il n’y a pas de surface et peu de matière. Le sujet n’existe dans nos yeux que par son mouvement.
Disposées comme au hasard, les LEDs de ses sculptures évoquent dès qu’elles sont allumées le galop d’un cheval, la légereté d’une ballerine ou le shoot de l’inoubliable footballeur de la Fête des Lumières de 2024. Une forme transparente, sans presque de matière c’est la négation de tout ce que nous étions habitués à appeler “sculpture”. Une forme énigmatique est le modeste support des lumières qui vont suggèrer un être précis par son seul mouvement.
Animal ou humain, notre façon de bouger nous représente autant que notre physionomie. C’est vrai de la pirouette d’une ballerine comme du puissant sprint d’une panthère. Le mouvement saisi puis recréé m’apparaît comme la signature de notre époque : là où les siècles précédents s’attachaient aux proportions, aux matières ; notre temps évoque vitesse, rythme, transformation.
Ce qui est révolutionnaire chez Rémi Brun est qu’il n’a pas besoin de l’apparence de la panthère ou du cheval. La précision du mouvement a elle seule va évoquer l’essence même du cheval : sa souplesse, sa vitesse, son galop.
Fabien Chalon
La poésie et le rêve sont les matériaux principaux de Fabien Chalon. Des sculptures séduisantes par la vie inattendue et l’étrangeté minutieuse que Fabien insuffle à des techniques de notre temps qui, sans lui, restent dépourvues d’âme.
A nous de nous laisser emporter. Il faut prendre le temps de voir évoluer et se transformer ces sculptures/mondes. Je les tiens pour les personnages d’un univers onirique que Fabien nous invite à explorer dans ses expositions.
Ce sont des oeuvres exigeantes, qui méritent de s’attarder en leur poétique compagnie. On aura remarqué que chaque artiste de ma petite liste, se sert du temps qui passe comme d’un matériau central. Le Temps est notre compère à nous autres, les artistes du mouvement. Il suffit de faire l’effort d’imagination et d’entrer, comme les enfants savent le faire, dans ces poésies “en actions” parfois déroutantes.
https://fabienchalon.fr/fr/accueil
Miguel Chevalier
Son travail est audacieux et toujours inattendu. Tout ce que j’aime. Aussi bien dans les méthodes que les techniques qu’il manie avec une audace joyeuse. Miguel sait que l’Art a une histoire, et il en joue. Il fait se télescoper les époques ; il s’approprie et transforme les monuments vénérables aussi bien que les lieux insolites.
J’ai le souvenir de son travail inoubliable de 2012 dans les carrières des Baux de Provence qu’il avait ensorcelées sur une musique de Michel Redolfi. Plus récemment le duo s’est installé au célèbre Château d’If.
Miguel propose aussi des oeuvres plus intimistes dans des oeuvres murales qui explorent les transformations mouvantes d’une géométrie fractale.
https://www.miguel-chevalier.com/newslist
Elias Crespin
Elias Crespin a grandi à Caracas. Fils de mathématiciens et petit-fils d’artistes lit-on dans sa biographie, il semble avoir réussi brillamment à tirer le meilleur de l’Art comme de la Science. Après vingt ans de programmation informatique, Crespin réalise sa première pièce en 2002.
Personnellement, la robotique ne m’a pas réussi et je me suis réfugié dans un travail sur la lumière. Elias, lui, a persisté et il crée des mécanismes magiques et aériens. Les mouvements très lents de formes simples suspendues à des fils invisibles sont animés par des programmes. Elias dessine dans l’espace une paisible chorégraphie aérienne. Les formes évoluent et se transforment lentement, de façon presque imperceptible. C’est une danse, un ballet géométrique en perpétuelle transformation.
En 2020, Elias Crespin a réalisé “L’onde du midi” pour le Musée du Louvre la première oeuvre d’art cinétique de “réalité virtuelle réelle” comme il l’explique dans cette vidéo.
https://www.eliascrespin.net/actualites/
Louis Phillippe Demers
Demers se passionne pour les installations robotiques - plus de 400 à ce jour. Toujours interactives, elles sont parfois de grande taille. Exposé dans les musées d’art et de sciences, Demers a travaillé pour le théâtre, l’opéra, et il a investi aussi le métro aussi bien que les festivals ou même… les salons techniques.
J’ai retenu A Monocular Dialogue. C’est la rencontre d’un robot borgne qui vous fixe et chuchote sans cesse ses ruminations intérieures. Entre la mythologie grecque et l’IA chacun sent qu’il y a une intrigante similitude.
L’homme ne change pas … Ses mythes non plus.
https://www.elektramontreal.ca/bian-2024/a-monocular-dialogue?lang=fr
Edward Ihnatowicz
The Senster (Eindhowen - 1969)
“Les spécialistes du comportement ne pouvaient pas croire que quelque chose d’aussi simple (le Honeywell était un ordinateur 12 bits avec 4 Ko de mémoire) puisse produire un comportement aussi réaliste.”
Malheureusement, le Senster était coûteux à maintenir en vie et la Société Phillips a abandonné le système en 1975.(Paul Brown)
The Senster est un grand robot à commande hydraulique qui suit les sons et les mouvements des personnes qui l’entourent, donnant ainsi l’impression d’être vivant. Il a été développé en 1969-71 pour la vitrine technologique de Philips, l’Evoluon, à Eindhoven, et Philips l’a dévoilé en 1970. Le Senster a probablement été la première sculpture robotique à être contrôlée par un ordinateur. Elle utilisait un réseau de quatre microphones pour détecter la direction du son autour d’elle et deux réseaux de radars Doppler pour mesurer le mouvement des personnes.
http://www.senster.com/ihnatowicz/articles/articlesabout.htm
Norman White
White pense que l’art électronique offre des modèles expérimentaux précieux et absolument inutiles
Le cerveau du robot est un ordinateur 80386 modifié ; le corps est un volume tronqué de contreplaqué et de cornières recroquevillé sur une plate-forme pivotante. Le Helpless Robot, incapable de se déplacer de lui-même, incite les visiteurs à le faire tourner à l’aide des poignées montées sur le côté. Lorsqu’il est ignoré, il devient amical et attentionné ; des niveaux d’assistance plus élevés produisent des demandes plus pétulantes.
http://www.normill.ca/artpage.html https://www.fondation-langlois.org/html/f/media.php?NumObjet=62070
Les précurseurs
Ce qui nous sépare des pioniers est probablement l’arrivée de l’informatique. La génération précédente ne dispose que de l’électronique classique : les composants analogiques.
Nicolas Shöeffer
Inventeur en 1948 du Spatiodynamisme “l’intégration constructive et dynamique de l’espace dans l’œuvre plastique”. C’est le grand ancien de cette petite liste.
“Pour Shöeffer, le sculpteur doit utiliser les techniques de son temps : les sculpteurs mycéens sculptaient l’albâtre avec des ciseaux de bronze, et nous devons Praxitèle et Phidias aux ciseaux de fer permettant de sculpter dans le marbre. « Les ciseaux en tant que tels ne sont ni significatifs ni éternels, et chaque époque crée ses propres ciseaux. » Aussi le sculpteur du XXe siècle doit-il utiliser les techniques électriques et électroniques qui sont à sa disposition pour animer la sculpture.” (Wkipedia.org)
Une vidéo que Shöeffer considérait comme une oeuvre à part entière : https://www.youtube.com/watch?v=dO0pffhB9SU
https://books.naimaunlimited.com/naima/schoffer_spatiodynamisme_kle2.pdf
Pierre Berger
Longtemps rédacteur en chef du Monde Informatique, Pierre Berger suit et commente avec passion ce que les artistes imaginent et réalisent avec cet outil.
MAX : un gros travail - tout en composants analogiques.
Dès les années 70, il réalise “Max” qu’il conçoit et développe en électronique analogique quelques années avant l’essor des micro-processeurs.
Nul n’est parfait. Très vite Pierre Berger va s’orienter vers l’image et la théorie. Deux activités qui en font un “prisonnier des écrans”. Il serait sauvagement exclu de cette liste si … Si ce n’était pas l’un de mes meilleurs amis.
P. Berger est l’auteur nombreuses publications.
Notamment de The dictionary of digital creation. DICCAN
http://diccan.com/
https://www.afscet.asso.fr/
L’informatique libère l’humain - L’Harmatan
Fondateur du groupe des Algoristes